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Les sanctions de l’absence de tentative de conciliation préalable à une assignation n’exonèrent pas le Juge du respect des principes directeurs du procès – Cour de cassation, deuxième chambre civile, 14 avril 2022, n°20-22.886

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Depuis le décret n°2015-282 du 11 mars 2015[1], tout demandeur au procès doit préalablement entamer – et en justifier – des diligences en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, « sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public »[2].

Cette obligation n’était pas contraignante, faute de sanction, le juge ayant seulement la possibilité de proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation[3].

Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, entré en vigueur le 1er janvier 2020[4], a renforcé l’obligation d’effectuer une tentative préalable de conciliation, médiation ou procédure participative, par deux sanctions distinctes : l’irrecevabilité de la demande et la nullité pour vice de forme.

L’article 750-1 du Code de procédure civile dispose ainsi que la demande en justice doit être précédée d’une tentative de résolution amiable du litige dans les cas suivants (non-cumulatifs) : (i) lorsqu’elle tend à l’obtention d’une somme inférieure à 5.000 euros, (ii) lorsqu’elle concerne les actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire (iii) ou un trouble anormal de voisinage. Le texte sanctionne le manquement à cette obligation par une irrecevabilité, que le juge peut prononcer d’office. Par exception, les parties peuvent déroger à cette obligation si elles entrent dans l’une des cinq exceptions prévues par l’alinéa 2 de cet article, notamment en cas d’invocation d’un motif légitime.

De son côté, l’article 54 du Code de procédure civile[5] modifié depuis le 1er janvier 2020, dispose que la demande en justice doit, à peine de nullité, préciser dans les cas ci-dessus rappelé, les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative[6].

Pour autant, l’application de ces principes doit se faire dans le strict respect des principes directeurs du procès et notamment du principe du contradictoire, comme le rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 14 avril 2022[7] par lequel elle infirme une ordonnance de référé pour non-respect de ce principe.

En l’espèce, l’objet de la demande portait sur la condamnation de plusieurs défendeurs au paiement d’une provision de 4.590 euros, mais ceux-ci ont conclu à « l’irrecevabilité de la demande de la société pour défaut de médiation préalable ».

Or, par ordonnance du 18 septembre 2020 (non publiée), le Président du Tribunal judiciaire de Paris relève l’absence de précision dans l’acte des diligences entreprises en vue de la résolution amiable du litige et prononce la nullité de l’assignation (et non l’irrecevabilité).

Sur pourvoi du demandeur, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation casse l’ordonnance au visa des articles 5, 16 et 455 du Code de procédure civile, reprochant notamment au juge d’avoir violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile en prononçant la nullité de l’assignation, moyen relevé d’office, sans avoir invité les parties à présenter leurs observations sur ce point et, qui plus est, de s’être contredit en évoquant l’irrecevabilité dans ses motifs et la nullité dans son dispositif.

Sans remettre en cause les sanctions possibles du défaut de tentative de règlement amiable, la Cour rappelle donc les limites des pouvoirs du juge. Si en effet l’irrecevabilité peut être relevée d’office par lui, et s’il dispose également du pouvoir de relever d’office certains vices de fond, tel n’est pas le cas de la nullité pour vice de forme puisqu’elle ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité. De surcroit, lorsque le juge relève d’office un moyen, l’article 455 du même code lui impose d’inviter les parties à présenter leurs observations sur ce point. Le Président du Tribunal judiciaire de Paris a donc violé ces textes, tout en opérant une contradiction entre les motifs et le dispositif qui, on le sait, équivaut à une absence de motivation.

Ce d’autant qu’en ne les invitant pas à conclure sur la nullité, il privait le demandeur de la faculté offerte par la loi de justifier d’un motif légitime à l’absence de conciliation. On le voit ici, le non-respect du principe du contradictoire faisait grief.

On relèvera au demeurant qu’en l’espèce, après avoir prononcé la nullité de l’assignation, le juge des référés avait déclaré la demande mal fondée au fond, la Cour de cassation le sanctionne également pour excès de pouvoirs sur le fondement de l’article 484 du Code de procédure civile.


[1] Décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends

[2] Article 56 du Code de procédure civile dans sa version en vigueur du 1er  avril 2015 au 1er janvier 2020 modifié par le décret n°2015-282 du 11 mars 2015 – art. 1

[3] Article 127 du Code de procédure civile dans sa version en vigueur 1er  avril 2015 au 1er janvier 2020 modifié par le décret n°2015-282 du 11 mars 2015 – art. 21

[4] Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile puis Décret n°2020-1452 du 37 novembre 2020.

[5] Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 – art. 1 entré en vigueur le 1er janvier 2020

[6] Ibid.

[7] Cass., 2ème Civ., 14 avril 2022, n°20-22.886.